Les imprudents

Les imprudents dossier

mise en scène Isabelle Lafon

avec Pierre-Félix Gravière, Johanna Korthals Altès, Isabelle Lafon et Margo

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« Est-ce que je ne suis pas scandaleuse ?

D’oser tout le temps, de me casser la gueule, d’oser encore ? Oui mais oser, ce que c’est, oser.

 Moi j’ai l’impression que j’écris dehors, j’écris ouvertement, j’écris… de façon indécente. Et que le scandale est là. Je ne sais pas comment j’en arrive à croire ça. Je ne sais pas, c’est la sorte de littérature que j’écris qui fait ça. Vous ne croyez pas ?

Que j’écris publiquement, presque. Que ce qu’on cache, je le fais comme au grand jour. »

Marguerite Duras

 

Franchement on pourrait arrêter là

avec en pensée la voix de Marguerite Duras le disant. Toujours les questions qu’elle se pose, les questions qu’elle pose. Immédiatement une phrase clignote, lance un signal : « Comme au grand jour». Un spectacle « comme au grand jour » où d’une certaine façon on ne cache rien.

Comme au grand jour

C’est d’abord dire tous les textes qui se trouvent sur la grande table, celle qui nous sert de décor, au milieu du plateau,  tous ces textes qui sont là, avec nous, depuis le début des répétitions.  Dire de quoi on part, ou plutôt d’où l’on part ?

Sur la grande table il y a :

des textes retranscrits à partir d’archives datant des années 60. Archives télévisuelles, archives d’interviews avec Marguerite Duras non pas questionnée mais questionneuse. La productrice de l’émission de télévision Dim Dam Dom demande à Marguerite Duras de faire des reportages.  Elle va entre autre interviewer une directrice de prison, une stripteaseuse, des enfants, un dompteur de fauve entre autre. Il y aura aussi la retranscription d’une émission de France Culture de 1967, on y suit la rencontre dans une  bibliothèque entre Marguerite Duras et des mineurs et femmes de mineurs. Cela se passe à Harnes dans le Pas de Calais, elle y lit des textes d’Henri Michaux, Francis Ponge, Aimé Césaire. Aura lieu une magnifique discussion entre « elle » et « eux ».

Un peu à part, des textes autour du « groupe de la rue Saint-Benoît. » Ils se réunissaient au domicile de Marguerite Duras depuis la guerre, Robert Antelme, Dionys Mascolo, Edgar Morin, Claude Roy, Maurice Nadeau  et bien d’autres.

Nous partons donc de ces années là et de cette Duras là, une Duras qu’on connaît moins, celle qui inlassablement pose les questions. Dans le cadre elle est de dos, et bien sûr la fumée de sa cigarette.

 Théâtre d’archives alors ?

Non sûrement pas ! Il s’agit avec les comédiens de travailler à partir des archives, d’improviser. Inventer le vrai. Imaginer ce qu’ont retenu ces personnes de leur rencontre avec Marguerite Duras. Faire revivre ces anonymes, tous ces personnages, André Fontaine, mineur ; Liliane Kupscak employée à la cafétéria de la mine ; Lolo Pigalle, stripteaseuse ; Pierre Dumayet, journaliste ;  Suzanne Langlet, bibliothécaire à Harnes ;  Daphné Langlet, lycéenne, Dionys Mascolo, Claude Roy etc. Ceux qui ont vraiment existé et ceux que nous avons inventé…

C’est vertigineux

de penser représenter Marguerite Duras  par le biais des personnes qui furent interviewées par elle. Elle qui d’une certaine façon envahit tout avec sa liberté brutale parfois. Elle dont la pensée, l’œuvre   ne tiennent pas en place, et ne s’installent jamais, On y entend murmure, fulgurance, discussion, solitude, transparence et rire.

Il faut être happée par Duras, ravie par elle mais surtout ne pas vouloir tout en dire.

Coïncidence

J‘ai découvert des mois après avoir décidé de travailler sur ces années 60, une dédicace de Marguerite Duras à l’intention de Pierre Dumayet qui l’avait interviewé sur son livre « Le ravissement de Lol V. Stein » en 1964. Elle est âgée et elle dit qu’elle aimerait revoir cet interview d’il y a vingt cinq ans ainsi que les émissions qu’elle a faites, ce qu’elle nomme « la première partie de son travail ».  Nous ne savions pas que d’une certaine façon nous répondions à ce souhait.

Nous sommes trois,

Johanna, Pierre Félix et moi-même, le trio où toujours un regarde les deux autres. Je pense à Lol V. Stein qui regarde son fiancé s’éprendre d’une autre, au bal de leurs fiançailles.

Nous nous sommes dits

que nous serions toujours comme en plein jour, à vue et que le spectacle devrait s’approcher d’une très belle répétition. Qu’il fallait accepter qu’il ne soit jamais fini.

Le scandale, ça serait le scandale, discret, intime, de chacun d’entre nous et peut-être d’une position de mise en scène. Une explosion discrète…

Nous nous sommes dits en riant qu’à force de parler des personnes qui ont été interviewées par Marguerite Duras,  elle  finirait par arriver, par apparaitre, par nous parler de cette chose devant laquelle elle se trouve : l’écriture « sèche nue », cette chose qui rend « sauvage », qui terrifie et sauve, qui doit se refaire à chaque livre, comme ignorée du précédent, cette chose « qui se fait en vous, en dehors de vous, en deçà de toute volonté de faire ».

Et puis Margo aussi écouterait, 

C’est ma chienne. Elle a dix mois, elle est impétueuse et douce, a envie de tout.

 

 

Isabelle Lafon

 

 

One Response to “Les imprudents

  • Plaire ou déplaire… D’emblée Duras déplace la question, s’en évade en se mettant à l’écoute des autres, en allant à la rencontre de cette altérité sans laquelle on n’écrit pas et c’est cette rencontre avec l’altérité qui est au cœur de la pièce Les Imprudents. Expérience foudroyante de Xenos, l’étrange étranger, l’étrange étrangère, à l’intelligence à fleur de peau, bouleversante. Duras est à l’écoute et montre l’endroit où peuvent résonner les paroles de tous, sans hiérarchie, sans sélection. C’est ce point de singularité entre les êtres, ce point de reconnaissance et d’agrandissement de soi qui résonne. C’est joyeux et nécessaire. Enjoiement ! C’est vital. Tombe l’estrade. Écrire… et ses cris libres qui n’ont pas « leur rappel », comme Margo la chienne. Ils fuguent sans maîtrise. La langue de l’autre, c’est ce qui rend écrire possible. L’humour arrive comme un vent frais. C’est en s’y risquant qu’on entre dans la pièce de la vie…

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